Je travaille pour S & T
Publicis, une boite de com' spécialisée dans les sectes et les groupes terroristes
qui existe depuis 1960. A l'origine, nous avions peu de client, les sectes
n'étaient pas encore bien implantées. La guerre était finie et un vent de liberté
soufflait à nouveau sur le vieux continent. A cette époque, la scientologie
n'avait pas encore réalisé d'étude de marché pour l’Europe et n’était pas du
tout convaincue à l’idée de mondialiser leurs activités. Il faut dire que
l’essor de la psychiatrie avait porté un coup dur à l’industrie sectaire. Je me
rappelle au printemps 69, les mormons étaient au bord de la faillite après la
publication du rapport Kinsey qui établissait que la sexualité n’était pas
aussi dangereuse que ce que clamait la secte. C’était un sale temps pour le
secteur.
Vous tuez, nous le faisons savoir au monde |
La boite était au bord de la
faillite, nous vivotions avec la traduction de quelques textes du mouvement
Krishna, très en vogue chez les hippies. Ce jour la, je préparais un
photomontage sur les Beatles en Inde, quand elle rentra dans mon bureau. Je me
souviens de sa rose rouge accrochée sur son béret noir, elle sentait ce parfum
si caractéristique des femmes qui ont du faire preuve de détermination afin de
grimper les échelons dans un monde d’homme. Elle, c’est Greta, une étudiante en
littérature française qui servait dans un bar communiste de la banlieue Ouest
de Berlin. Je me rappelle notre première conversation comme si c’était hier.
-
On dit que vous avez inventez la dernière phrase de Lee
Harvey Oswald avant qu’il soit assassiné
-
« C’est pas moi, c’est la CIA ». En effet,
c’était nous.
-
Qui vous avait commandé cette com’ ?
-
Nos clients sont anonymes, mein Liebling.
Elle me fit une clé de bras et me
coinça son genou sur la nuque.
-
Tu m’appelleras « mein Liebling» quand je te le dirais ! Compris, mein Liebling ?
Sa rencontre marqua un tournant
décisif pour S & T Publicis et surtout dans
ma vie. Elle était chargée des relations publiques pour un nouveau petit groupe
de jeunes anarcho-communistes un peu paumé comme il en existait tant d’autres
dans ce début de guerre froide. Elle me parlait constamment de ses amis Andreas
et Ulrike qui seront connus plus tard comme Baader & Meinhof grâce à une
bonne campagne de pub. La concurrence pour la révolution prolétarienne était
intense et il fut vite clair que le groupe terroriste ayant la meilleure com’
marquerait l’histoire. Nous avions établis une stratégie simple et efficace, le
concept était d’utiliser la médiatisation des braquages de banques pour
diffuser nos messages aux heures de grandes écoutes sans avoir à payer un
espace publicitaire. Plus tard, Ryanair
nous volera notre idée, mais cette une autre histoire. Ainsi chaque braquage
était accompagné d’une phrase choc « Favoriser la
lutte des classes - Organiser le prolétariat - Commencer la résistance armée -
Construire l'Armée Rouge ». Rapidement, le mouvement conquit les cœurs
et Greta conquit le mien. Toutes ces réunions ensemble nous avaient rapproché et
nous nous complétions. Chacun terminait les phrases de l’autre et un sourire
illuminait son visage lorsque je présentais de nouveaux logos ou slogans. Notre
histoire débuta lorsque la police assassina Richard Epple, un novice zélé très
prometteur. Ce soir la, nous avions décidé de fêter ça dans les rues de
Dortmund, cette bavure policière était
le coup de pub que tous nous attendions. Ulrike et Andreas furent vite fatigués
mais je suis convaincu encore aujourd’hui qu’ils n’avaient pas saisi l’ampleur
de ce coup de destin. Greta et moi décidions de nous promener le long de
l’Emscher.
-
Ulrike avait l’air ennuyée
-
Je crois qu’elle n’aime plus Andreas
-
Et toi ?
-
Moi quoi ?
-
Tu m’aimes ?
-
C’est compliqué, tu es ma cliente. Ce ne serait pas
déontologique, je pourrais perdre toute crédibilité. La concurrence en
profiterait pour nous prendre des clients
-
Quand nous aurons gagné, il n’y aura plus d’entreprises
privées et tu n’auras plus à te soucier de la concurrence. Tu fera la com’ du
parti et tu resteras avec moi.
-
Ce serait bien
-
Ce sera bien
Elle me prit par la main et nous marchâmes
ainsi toute la nuit sans savoir ou nous allions. Nos mains ne sont plus jamais
quittées après cette nuit. J’oublis vite mes obligations morales et délaissa
mes autres clients.
Ensemble, nous avons développé la
visibilité du groupe et sommes devenu leader du marché du terrorisme
communiste. Je crois que c’est cette gloire soudaine qui nous a perdus. Nous
avons été trop loin et trop vite. Nous étions jeunes et amoureux, le monde nous
appartenait. Notre passion nous aveuglait jusqu’au jour ou Ulrike mourut en
prison. Je crois que ce jour la, Greta pris de la distance avec le mouvement.
Une certaine routine s’est installée attentat -message publicitaire – merchandising.
Le mouvement a commencé à stagner. Les chiffres n’étaient plus la et la Stasi
menaçait de couper les budgets. Nos conversations ne tournaient plus que sur la
faillite inévitable de la cellule terroriste.
Le mouvement perdit vite de la
vigueur jusqu’en 1989 ou choqué par la chute du mur de Berlin, ce même mur ou
nous échangeâmes notre premier baiser, nous décidions de tout arrêter. La
révolution n’aurait jamais lieu.
-
Et la Chine ? Pourquoi ne pas essayer la
Chine ? Ils ne passeront jamais au capitalisme...
-
Non, tu ne comprends pas, j’ai besoin de nouveau défi.
Je ne suis plus la femme que tu as connus… et tu n’es plus l’homme que j’ai
connu
-
Mais je n’y suis pour rien, le monde a changé. Il n’y
aura plus de terrorisme. C’est fini Marx, l’économie de marché est partout même
les t-shirt Che Guevara sont vendu par des capitalistes. Évolues !
-
Oui justement j’évolue. J’ai de nouveaux contacts…
-
Quoi ? ces baltringues en Afghanistan ? Ils
n’arriveront jamais à rien. Ils n’ont pas de budget, pas de leader
charismatique, pas de logo, ou même de nom. En plus, ils sont formés par la
CIA.
-
Tu ne comprends rien, c’est l’avenir, tout est à faire.
Il porte sa montre comme François Hollande, aucun charisme |
Un matin brumeux qui annonce le
début de l’automne sur la Saxe, je trouvais sa lettre sur son oreiller. Elle
m’expliquait simplement son départ, ce n’était plus possible d’être avec moi.
Elle devait tourner la page et se reconstruire. Elle est donc partie en
direction de Kaboul pour gérer la com’ de ce nouveau type de terroriste. Elle
avait raison, je n’étais plus à la page. J’ai pu reconnaitre sa marque sur
plusieurs attentats mais le 11/09 je compris que l’élève avait dépassé le
maitre. Je ne l’ai plus jamais revue mais aujourd’hui dans chaque explosion
j’entends sa voix qui me murmure « mein
Liebling»