mercredi 6 février 2013

Baader nous a rassemblés, Ben Laden nous a séparés


Je travaille pour S & T Publicis, une boite de com' spécialisée dans les sectes et les groupes terroristes qui existe depuis 1960. A l'origine, nous avions peu de client, les sectes n'étaient pas encore bien implantées. La guerre était finie et un vent de liberté soufflait à nouveau sur le vieux continent. A cette époque, la scientologie n'avait pas encore réalisé d'étude de marché pour l’Europe et n’était pas du tout convaincue à l’idée de mondialiser leurs activités. Il faut dire que l’essor de la psychiatrie avait porté un coup dur à l’industrie sectaire. Je me rappelle au printemps 69, les mormons étaient au bord de la faillite après la publication du rapport Kinsey qui établissait que la sexualité n’était pas aussi dangereuse que ce que clamait la secte. C’était un sale temps pour le secteur.


Vous tuez, nous le faisons savoir au monde
La boite était au bord de la faillite, nous vivotions avec la traduction de quelques textes du mouvement Krishna, très en vogue chez les hippies. Ce jour la, je préparais un photomontage sur les Beatles en Inde, quand elle rentra dans mon bureau. Je me souviens de sa rose rouge accrochée sur son béret noir, elle sentait ce parfum si caractéristique des femmes qui ont du faire preuve de détermination afin de grimper les échelons dans un monde d’homme. Elle, c’est Greta, une étudiante en littérature française qui servait dans un bar communiste de la banlieue Ouest de Berlin. Je me rappelle notre première conversation comme si c’était hier.

-          On dit que vous avez inventez la dernière phrase de Lee Harvey Oswald avant qu’il soit assassiné
-          « C’est pas moi, c’est la CIA ». En effet, c’était nous.
-          Qui vous avait commandé cette com’ ?
-          Nos clients sont anonymes, mein Liebling.

Elle me fit une clé de bras et me coinça son genou sur la nuque.

-          Tu m’appelleras « mein Liebling» quand je te le dirais ! Compris, mein Liebling ?

Sa rencontre marqua un tournant décisif pour S & T Publicis et surtout dans ma vie. Elle était chargée des relations publiques pour un nouveau petit groupe de jeunes anarcho-communistes un peu paumé comme il en existait tant d’autres dans ce début de guerre froide. Elle me parlait constamment de ses amis Andreas et Ulrike qui seront connus plus tard comme Baader & Meinhof grâce à une bonne campagne de pub. La concurrence pour la révolution prolétarienne était intense et il fut vite clair que le groupe terroriste ayant la meilleure com’ marquerait l’histoire. Nous avions établis une stratégie simple et efficace, le concept était d’utiliser la médiatisation des braquages de banques pour diffuser nos messages aux heures de grandes écoutes sans avoir à payer un espace publicitaire.  Plus tard, Ryanair nous volera notre idée, mais cette une autre histoire. Ainsi chaque braquage était accompagné d’une phrase choc « Favoriser la lutte des classes - Organiser le prolétariat - Commencer la résistance armée - Construire l'Armée Rouge ». Rapidement, le mouvement conquit les cœurs et Greta conquit le mien. Toutes ces réunions ensemble nous avaient rapproché et nous nous complétions. Chacun terminait les phrases de l’autre et un sourire illuminait son visage lorsque je présentais de nouveaux logos ou slogans. Notre histoire débuta lorsque la police assassina Richard Epple, un novice zélé très prometteur. Ce soir la, nous avions décidé de fêter ça dans les rues de Dortmund, cette bavure policière  était le coup de pub que tous nous attendions. Ulrike et Andreas furent vite fatigués mais je suis convaincu encore aujourd’hui qu’ils n’avaient pas saisi l’ampleur de ce coup de destin. Greta et moi décidions de nous promener le long de l’Emscher.

-          Ulrike avait l’air ennuyée
-          Je crois qu’elle n’aime plus Andreas
-          Et toi ?
-          Moi quoi ?
-          Tu m’aimes ?
-          C’est compliqué, tu es ma cliente. Ce ne serait pas déontologique, je pourrais perdre toute crédibilité. La concurrence en profiterait pour nous prendre des clients
-          Quand nous aurons gagné, il n’y aura plus d’entreprises privées et tu n’auras plus à te soucier de la concurrence. Tu fera la com’ du parti et tu resteras avec moi.
-          Ce serait bien
-          Ce sera bien

Elle me prit par la main et nous marchâmes ainsi toute la nuit sans savoir ou nous allions. Nos mains ne sont plus jamais quittées après cette nuit. J’oublis vite mes obligations morales et délaissa mes autres clients.

Ensemble, nous avons développé la visibilité du groupe et sommes devenu leader du marché du terrorisme communiste. Je crois que c’est cette gloire soudaine qui nous a perdus. Nous avons été trop loin et trop vite. Nous étions jeunes et amoureux, le monde nous appartenait. Notre passion nous aveuglait jusqu’au jour ou Ulrike mourut en prison. Je crois que ce jour la, Greta pris de la distance avec le mouvement. Une certaine routine s’est installée attentat -message publicitaire – merchandising. Le mouvement a commencé à stagner. Les chiffres n’étaient plus la et la Stasi menaçait de couper les budgets. Nos conversations ne tournaient plus que sur la faillite inévitable de la cellule terroriste.

Le mouvement perdit vite de la vigueur jusqu’en 1989 ou choqué par la chute du mur de Berlin, ce même mur ou nous échangeâmes notre premier baiser, nous décidions de tout arrêter. La révolution n’aurait jamais lieu.

-          Et la Chine ? Pourquoi ne pas essayer la Chine ? Ils ne passeront jamais au capitalisme...
-          Non, tu ne comprends pas, j’ai besoin de nouveau défi. Je ne suis plus la femme que tu as connus… et tu n’es plus l’homme que j’ai connu
-          Mais je n’y suis pour rien, le monde a changé. Il n’y aura plus de terrorisme. C’est fini Marx, l’économie de marché est partout même les t-shirt Che Guevara sont vendu par des capitalistes. Évolues !
-          Oui justement j’évolue. J’ai de nouveaux contacts…
-          Quoi ? ces baltringues en Afghanistan ? Ils n’arriveront jamais à rien. Ils n’ont pas de budget, pas de leader charismatique, pas de logo, ou même de nom. En plus, ils sont formés par la CIA.
-          Tu ne comprends rien, c’est l’avenir, tout est à faire. 


Il porte sa montre comme François Hollande, aucun charisme
Un matin brumeux qui annonce le début de l’automne sur la Saxe, je trouvais sa lettre sur son oreiller. Elle m’expliquait simplement son départ, ce n’était plus possible d’être avec moi. Elle devait tourner la page et se reconstruire. Elle est donc partie en direction de Kaboul pour gérer la com’ de ce nouveau type de terroriste. Elle avait raison, je n’étais plus à la page. J’ai pu reconnaitre sa marque sur plusieurs attentats mais le 11/09 je compris que l’élève avait dépassé le maitre. Je ne l’ai plus jamais revue mais aujourd’hui dans chaque explosion j’entends sa voix qui me murmure « mein Liebling»